Les
personnes qui disent que la vie est belle sont agaçantes. Ce sont
généralement celles vivant dans l’aisance et les privilèges, et
appartenant au monde du spectacle qui, par médias interposés,
s’expriment ainsi, et incitent des naïfs beaucoup moins
privilégiés qu’elles à s’exprimer de la même façon.
C’est
idiot, car bien entendu inadapté à la vie d’un grand nombre de
gens.
Ces
personnes dans l’aisance ne devraient donc pas dire : la vie est
belle, mais : ma vie est belle.
Si elles
préfèrent dire que la vie est belle c’est pour plus ou moins ne pas
reconnaître l’étendu de leurs privilèges. "La vie est
belle", cela inclut tout le monde, c’est parler aux noms des
autres et donc vouloir leur faire croire qu’ils peuvent dire la
même chose. C’est mettre tout un chacun sur le même plan alors
qu’évidemment, la répartition des chances et des avantages
n’obéit pas naturellement au principe d’égalité. En
s’exprimant ainsi ces personnes peuvent déculpabiliser d’avoir
tant de privilèges et d’argent qu’elles gardent en grande partie
ou totalement pour elles alors qu’elles passent leur temps à
prêcher la générosité, le partage, et l’égalité.
Quand ces
gens-là disent que la vie est belle, ils le disent d’une manière
– c’est frappant – donnant l’impression que si ils peuvent le
dire, cela n’a pas grand chose à voir avec leurs privilèges, que
c’est avant tout grâce à une question d’état d’esprit, de
regard sur la vie, de dépassement des faux problèmes, et au bout du
compte, de sagesse, d’humilité. Après les avoir entendu dire que
la vie était belle de la manière dont ils le disent, les gens se
retrouvent, un peu bêtement, à se faire des remontrances, à se
dire : Oui, c’est vrai, il ou elle a raison, on ne voit pas assez
le bon côté des choses. On se plaint trop.
Le plus
"drôle", si je puis dire, c’est que ces privilégiés,
en laissant entendre à ceux ne l’étant pas qu’ils se plaignent
trop, ont en partie raison. Beaucoup d’entre nous, grâce au
progrès, bénéficient aujourd’hui de certains avantages et d’un
confort (dans un sens très large), que l’homme du peuple des
siècles passés aurait considérés comme d’immenses privilèges,
et que même les nobles les plus riches de ces mêmes siècles nous
auraient jalousés.
Donc
effectivement, nos grands privilégiés, en laissant entendre aux
gens qu’ils se plaignent trop, ont en partie raison. Le problème
est qu’ils s’appuient sur cette petite vérité pour paralyser
notre jugement sur eux. Pendant que les gens se remettent en
question, ils ne voient pas que les dits privilégiés ayant provoqué
cette remise en question ne manquent pas de culot et profitent du
trouble qu’ils ont provoqué pour faire une faute de frappe en
remplaçant le m du premier mot par un l dans la phrase : la vie est
belle.
Car les
choses sont plus complexes qu’il y paraît. Dire que nous
bénéficions de plus de confort et de plus d’avantages que nos
ancêtres ne signifie pas que nous n’avons plus de problèmes, et
que les malheurs, les difficultés et la souffrance ont disparu de
nos existences, loin de là. Certains sont même, dans ces domaines,
particulièrement bien placés pour en parler. C’est pourquoi ce
"la vie est belle" que nous assènent parfois nos grands
artistes bourgeois médiatisés est insupportable.
Dans un
monde où il est si bien vu de défendre l’égalité et la
générosité, alors que le dit monde est avant tout commandé par
les rapports de force, l’inégalité, et la cupidité, il vaut
mieux, surtout lorsqu’on est un artiste connu, dire en son nom et
au nom des autres que la vie est belle. Ça ne mange pas de pain, on
passe pour un sage, et cela permet d’être admiré par celles et
ceux qui par conséquent nous rapporteront encore plus d’argent en
achetant avec le sourire ce qu’on leur vendra.
Laurent
Gané
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