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Juan Sánchez Cotán (1560 - 1627) Nature morte aux fruits et légumes bio |
Avoir
une alimentation biologique, cela veut dire : se nourrir avec des
aliments provenant d’un mode de culture et d’élevage excluant
l’utilisation de produits chimiques de synthèse, ou avec des
aliments transformés à base d’ingrédients issus de ces modes de
culture et d’élevage. C’est donc avoir une alimentation
naturelles. On aurait donc dû, tout simplement, appeler les aliments
biologiques des aliments naturels, et les aliments ayant subi un
traitement chimique de synthèse des aliments traités.
Deux
raisons ont voulu qu’il en soit autrement.
Pour
faire comprendre la première, imaginons que les tableaux d’un
célèbre peintre, dans les galeries, les musées, et ailleurs, petit
à petit, aient été remplacés par des faux, sans que personne ne
s’en soit rendu compte, jusqu’au jour où la supercherie aurait
été découverte. Des recherches auraient été effectuées, et les
tableaux authentiques seraient réapparus, lentement, les uns après
les autres. Pour les distinguer de la quantité considérable des
faux tableaux, on ne se serait pas contenté de dire de chacun d’entre eux
qu’il s’agissait d’un tableau d’untel, mais d’un vrai
tableau d’untel.
Pour
les aliments c’est pareil. Tous traités, ils furent présentés
comme identiques en qualité à ceux du passé, jusqu’à ce que
leurs effets nocifs soient connus de la majorité des gens. Les
aliments n’ayant pas eu affaire à la chimie de synthèse
commencèrent alors à réapparaître, mais en quantité si petite
comparée aux aliments traités qui représentaient la quasi totalité
des aliments vendus, qu’il fallut les différencier en spécifiant
qu’ils étaient naturels, "bio", car la norme était devenu le chimique,
comme si il en avait toujours été ainsi. C’était le nouveau
repère de base, duquel devait se distinguer l’alimentation non
traitée, alors que cela aurait toujours dû être l’inverse.
Quant
à ce mot : "bio", pour parler de la deuxième raison
permettant de comprendre pourquoi celui-ci fut employé pour désigner
la nourriture naturelle, il ressemble étrangement à un mot trouvé
par une agence de communication payée par des industriels tant il
paraît peu naturel de nommer ainsi une chose naturelle.
Bio,
ça fait avant-gardiste, comme tous ces mots, souvent anglais, que
beaucoup se plaisent à employer par snobisme.
Manger
des aliments naturels, ou manger des aliments traités, voilà une
façon de s’exprimer sans manières, vraiment naturelle. Moi-même,
qui fréquente les magasins "bio", j’essaie le plus
souvent possible d’employer ces mots-là.
J’ajouterai
que vouloir manger des aliments naturels c’est vouloir manger les
aliments tels qu’ils étaient autrefois, sauf que dire ça, c’est
risquer de faire passer l’homme moderne avant-gardiste pour un
réactionnaire – avec
tout ce que cela représente de négatif à ses yeux. Il fallut donc emballer l’objet ancien dans un mot
nouveau, afin de lui faire croire, à l’homme moderne
avant-gardiste, qu’il était davantage l’inventeur que le
récupérateur de ce qui venait du passé, cette façon de faire étant la
grande spécialité des bobos. Car il ne s’agissait pas, en effet,
qu’il soit vu comme quelqu’un souhaitant retrouver un état
ancien, tel un passéiste, l’homme moderne avant-gardiste. Il
voulait certes du naturel, comme autrefois, mais sans être confondu
avec les méchants primates de cet autrefois.
Au
lieu de dire "naturel", ou "authentique", ou pire
: "comme avant", "comme autrefois", on a choisi
de dire "bio". C’était plus rigolo, plus pétillant,
plus "sympa", et donc moins fasciste. Au lieu de risquer
d’être réactionnaire, on était progressiste, et surtout malin.
Tout le monde, ainsi, restait à sa place : les hommes des cavernes
d’un côté, et les êtres supérieurs de l’autre.
Cela
permet, lorsqu’on est un moderniste anti réactionnaire, de pouvoir
adopter une attitude anti moderniste, puisque réactionnaire, en la
déguisant en attitude innovante et donc progressiste.
Ces
gens-là seront peut-être vus un jour, souhaitons-le, comme les
"grands" inventeurs du comportement naturel artificiel, de
l’authenticité fausse.
Laurent
Gané
(site
personnel)
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