Photographies extraites de Un siècle passe,
de Alain Blondel et Laurent Sully Jaulmes
de Alain Blondel et Laurent Sully Jaulmes
L’architecture
moderne* a rompu avec celle du passé. Elle n’est pas son
prolongement, mais une manière de construire totalement différente.
C’est
précisément ce qu’aiment ses défenseurs : qu’elle témoigne
d’une rupture avec ce qui se faisait autrefois, qu’elle indique
l’avènement d’une ère nouvelle, car pour eux, moderne,
nouveau, veulent dirent mieux qu’avant, plus
évolué, cette manière de voir faisant d’eux, qui aiment
cette modernité et cette nouveauté, des individus supérieurs à
ceux du passé.
Ce qui
permet encore davantage de se démarquer, de paraître même
supérieur à ceux pourtant déjà attachés à la modernité et à
la nouveauté, c’est d’être avant-gardiste, c’est-à-dire de
porter au pinacle ce qui est considéré comme étant en avance sur
la nouveauté elle-même. Du nouveau plus nouveau que le nouveau du
jour, car du nouveau à venir, du nouveau futur, conférant à ceux
le défendant les qualités de visionnaires, de clairvoyants, de
quasi médiums sachant voir l’avenir.
Il s’agit pour ces gens de tout voir à l’aune de la modernité, l’architecture comme les êtres humains, car être jeune par exemple, c’est être nouveau, plus moderne, en avance, plus évolué, plus intelligent, plus intéressant ; en un mot là aussi : supérieur.
Autrefois,
on considérait pouvoir s’améliorer en mûrissant, et donc en
vieillissant. De nos jours, on peut être ignare, idiot, creux,
caractériel à défaut d’avoir du caractère, "original"
à défaut d’avoir de la personnalité, sans que notre crédibilité
soit remise en question si l’on est nouveau, jeune, et par
conséquent d’emblée vu comme étant investi de toutes les
qualités, comme étant en avance sur les personnes ayant pourtant par leur âge de
l’avance sur nous (sauf si les dites personnes n’ont pas les
qualités personnelles, et notamment intellectuelles, permettant de
faire de leur avance un avantage). Cela
reviendrait à considérer qu’un étudiant en première année de
médecine en saurait plus sur la médecine que ceux parvenus à la
fin de leurs cursus.
Les plus
vieux, s’ils ne veulent pas être jugés en retard, version polie
d’attardés, doivent absolument rester jeunes d’esprit
comme on dit, c’est-à-dire tenter d’avancer en reculant.
Les gens qui aiment l’architecture moderne se disent qu’ils avancent eux, qu’ils évoluent sans cesse vers le mieux, tandis que ceux préférant l’architecture du passé se disent qu’avec l’architecture moderne il n’y a pas progrès mais au contraire déclin et décadence.
Les
premiers, de leur point de vue, pensent que les seconds n’aiment
pas l’architecture moderne, et la modernité en général, parce
qu’ils sont passéistes, bornés, opposés par étroitesse d’esprit
au progrès. Ils ne comprennent pas que les seconds – les plus
subtils d’entre eux en tout cas –, du fait de leur exigence de
qualité, ne peuvent qu’aimer le progrès justement, mais le vrai,
pas celui qui, d’un point de vue qualitatif donc, recule en
prétendant avancer. Car les
premiers, effectivement, avancent en dégénérant, et les seconds
s’en rendent compte, ce qui provoque leur opposition, car c’est
précisément ce qu’ils ne veulent pas : dégénérer.
On peut être
tourné vers le passé justement parce qu’on ne veut pas reculer,
après avoir estimé que ce passé, sur certains plans, était d’une
qualité supérieure au présent dégénérant, car c’est un
authentique progrès que l’on souhaite, et pas un faux progrès.
En vérité,
paradoxalement, ce sont les défenseurs de cette modernité barbare
et dégénérée qui sont opposés au progrès, si l’on veut
vraiment faire dire à ce terme : aller vers mieux.
Laurent
Gané
* Je regroupe
volontairement sous le terme moderne l’architecture moderne
et l’architecture contemporaine – que l’on considère normalement
être deux courants différents – car elles appartiennent en
réalité au même mouvement, à la même idéologie, et aboutissent
à la même laideur architecturale.
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