Dans les débats
politiques, les débats entre différents spécialistes et
intervenants, dans lesquels il est question de la France, il est
difficile de savoir si on nous parle de la France et de sa
population, ou d’une entreprise et de ses employés. Il semble
n’être question que d’argent, de pourcentages, et de chiffres
divers. Industrie, entreprises, marketing, technologie, innovation,
CAC 40, OTAN, Bruxelles, euro, monnaie unique, INSEE, dépenses,
impôt, dette, concurrence, compétitivité, développement,
croissance, chiffre d’affaire, coût de production, exportation,
grand marché, banque centrale, et cætera. Voilà les mots qu’on
ne cesse d’entendre.
Le débat ayant opposé
Nicolas Sarkozy à François Hollande par exemple, lors de la
campagne présidentielle, devait-il nous aider à choisir un
président de la République, ou un expert-comptable ; un chef
d’État, ou un directeur
des ressources humaines ?
Il paraît que la France
possède une culture très riche. Il paraît qu’elle est à
l’étranger réputée pour cette culture. Il paraît ! car
ceux censés représenter et défendre celle-ci, si une personne
n’ayant jamais entendu parler de la France les écoute, ne le
devinera jamais. La France, pour eux, n’est plus qu’une grande
équation à résoudre.
Lorsque plusieurs
personnes décident de nous parler "sérieusement" d’elle,
c’est pour nous donner un cours de gestion, de commerce et
d’économie, avec, par-ci par-là, pour faire bien, de belles et
creuses envolées sur la justice, l’égalité, le social,
l’éducation, ou la santé.
Il est important de
parler d’économie – évidemment ! –, mais pour revenir au
face-à-face Sarkozy-Hollande, il aurait été tout de même
préférable de ne pas avoir l’impression d’entendre deux
banquiers s’affronter. Ces gens-là, en réalité, parlent la
langue du mondialisme, et donc de la finance, qui n’est pas au
service d’une économie elle-même au service des peuples. Il
s’agit d’en être conscient et de bien comprendre ce que cela
veut dire.
Les Français, lorsqu’il
est précisément question d’eux, et comme je l’ai laissé
entendre, c’est également en faisant appel à un vocabulaire
technocratique et marchand, c’est généralement en utilisant des
mots contenant des chiffres : pouvoir d’achat, coût de la
vie, coût du travail, main-d’œuvre, niveau de vie, dépenses des
ménages. D’ailleurs, lorsqu’un journaliste nous parle du moral
des Français, c’est pour nous dire, textuellement, qu’il n’est
pas bon lorsque ceux-ci consomment moins, et bon lorsque la
consommation est relancée. En résumé, être heureux et épanoui,
c’est consommer, acheter, car apparemment, c’est ce qui donne le
plus de sens à nos vies. Ceci est tristement révélateur de la
mentalité de notre époque.
Pourquoi ne jaugerait-on
pas le moral d’une population à sa capacité à tenir un
raisonnement logique, ou à son envie d’améliorer son niveau de
culture générale ? Sait-on qu’une personne, financièrement
à l’aise, ayant de l’esprit ou aimant avant tout ceux en faisant
preuve, et que l’on obligerait à n’entendre parler que de mode, de
coups de cœur "shopping", et de tout ce que propose la
société de consommation, finirait avec un moral en berne.
Dans les émissions où
il est question de la France, notez combien de fois vous entendez
parler d’économie, de marché de l’emploi, de commerce, de
gestion, et combien de fois vous entendez parler de culture,
d’Histoire, de langue française, d’esprit français, de racine,
d’identité, de patrimoine. L’un des rares à inclure ces sujets
à son argumentation, c’est Éric Zemmour, qui parle également
d’économie, mais considère que pour savoir où l’on va et
comment on doit agir, il faut savoir d’où l’on vient et qui l’on
est. Il intègre l’humain à son raisonnement, tandis que les
autres, qui affirment mettre l’humain au premier plan, parlent en réalité
d’une manière technocratique comme je l’ai dit, en se servant systématiquement du
langage mécanique de la finance et du rendement.
Quel est le contraire de
réfléchir, de raisonner ?... Réponse : consommer !
Le pouvoir d’achat, il n’y a que ça de vrai ! Lorsque les
gens, sous perfusion permanente de la publicité, mais aussi
d’émissions et de feuilletons abêtissants, ne sont plus capables
de comprendre un raisonnement logique et construit, une réflexion
faisant appel au bon sens et au recul sur les choses, et lorsqu’ils
n’ont plus d’identité, ils sont alors plus malléables, ils
peuvent enfin servir l’économie au service de la finance.
Il suffit d’ailleurs de
les écouter, de les regarder vivre, de leur demander de quoi ils ont
le plus envie, pour être fixé. Le nouveau téléphone portable, le
nouvel écran plat, le nouveau truc déco, le nouveau vêtement, la
nouvelle cuisine, la nouvelle lampe, le nouveau canapé, la nouvelle
console de jeux, faire la fête, et encore faire la fête.
Descartes disait :
je pense, donc je suis. Depuis que le progrès est passé par là, on
peut dire : je ne pense plus, donc je consomme.
Mais les gens ont aussi
des "activités culturelles" diront certains !
Parlons-en ! car
étant donné que tout est tiré vers le bas, il faut voir ce que
l’on appelle ordinairement "culture" de nos jours. Le cinéma (que l’on hésite de plus en plus à appeler 7ème
art), la musique, les chanteurs et les écrivains dans l’air du
temps, sont davantage des produits industriels de divertissement
qu’autre chose. Et le problème est là en grande partie :
on a réussi à faire passer le divertissement et la sous-culture
pour de la culture. Même les grandes valeurs à la mode que tout le
monde dit défendre, pour se donner une consistance morale à défaut
de pouvoir se donner une consistance intellectuelle, sont à ranger
dans le rayon du prêt-à-penser synthétique. Demandez à ceux qui
les portent en sautoir d’expliquer logiquement et rationnellement
pourquoi ils les défendent, et vous comprendrez ce que veut dire
répéter sans réfléchir.
Quoi qu’il en soit, en
ne tenant pas compte de la culture, de la langue, des racines, en
somme de l’identité de la France, les personnalités politiques
supposées la représenter indiquent mécaniquement qu’elles n’en
tiennent pas compte.
Comment ne pas
comprendre, lorsqu’on les écoute, qu’elles servent les intérêts
de la finance internationale, tout en prétendant défendre leur pays
des effets dévastateurs de cette même finance internationale.
Laurent Gané
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