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dimanche 10 février 2013

De l'art d'empiler les manifestants


À l'ère du tout informatique, tout automatique, il reste un domaine fidèle aux traditions, au charme suranné de l'à-peu-près. Le progrès est une chose merveilleuse, un mouvement inéluctable, une revendication bien légitime ; c'est là chose entendue, mais dès lors qu'il s'agit de dénombrer un cortège battant le pavé, la modernité n'a plus cours. Dans ce domaine, rien n'est plus fiable que l’œil humain et les plus élémentaires connaissances en calcul mental : 1+1=10 selon les organisateurs. 10+10=10 selon la police. Grosso modo.

Il est de bonnes et de mauvaises traditions. En la matière, suggérer le recours à la technologie, et imaginer un moyen par lequel la science puisse soustraire l'homme à cette fastidieuse opération comptable semble un peu trop audacieux. Il faut savoir user du progrès avec précaution, et une telle révolution pourrait s'avérer attentatoire au plaisir citoyen de se rassembler pour crier haut et fort qu'on est tous bien d'accord sur le fait d'avoir parfaitement raison.

Et ce plaisir du manifestant passe bel et bien par le nombre. À l'inverse de l'ochlophobe, rien n'est plus traumatisant pour le manifestant que se retrouver libre de ses mouvements dans une foule clairsemée. Alors, par un phénomène psychologique qui reste à étudier, en plus de souvent voir rouge, le manifestant en vient à voir double, triple, et même quadruple parfois.

C'est ainsi que, le 27 janvier dernier, le manifestant favorable à la liberté pour tout le monde de se marier avec tout le monde s'entassait place de la Bastille non pas à 4 par mètre carré comme le prétendait la police, mais à plus de 12 selon les organisateurs, voire - « au moins » - plus de 16 par carré d'un mètre, selon le responsable du Front de Gauche, Alexis Corbière (1).

Mais « pas de guerre des chiffres », indiquaient quelques jours avant l'évènement les propagandistes du mariage homosexuel, ce malgré des signes encourageants quant à son potentiel succès, comme par exemple cette opération spéciale de la SNCF proposant, comme le révélait Valeurs Actuelles, un billet de train Lyon-Paris au tarif imbattable de 5 euros le jour de la manifestation.

Et pas d'exploitation non plus de la prouesse acrobatique sans précédent de cet enchevêtrement de corps, à douze ou seize individus par mètre carré, bras dessus, bras dessous, pieds sur épaules, cul par dessus tête, fabuleuse symbiose, merveilleuse allégorie de l'union comme un seul homme ; le but des organisateurs n'était à l'évidence pas de ridiculiser l'adversaire en stigmatisant son manque de souplesse ou sa déplorable absence de fantaisie, et vous ne trouverez donc nulle part les photographies de ces pyramides humaines dominant la colonne de Juillet. Manifestement censurées d'un commun accord entre la presse et les associations LGBT.

L'état d'esprit, ce dimanche, était donc tout à fait courtois. Pas de fanfaronnade. Mais ce que s'appliquent ces modestes organisateurs, le simple observateur n'y est nullement tenu. Observons donc que, par nature moins aventureux que leurs adversaires progressistes, les conservateurs défendant le 13 janvier les fondements familiaux de la société ont préféré à la verticalité d'un rassemblement de type empilé acrobatique, l'horizontalité plus confortable d'une vaste assemblée occupant les plus de 24 hectares du Champ-de-Mars dans toute sa profondeur. Soit, en appliquant les modalités de calcul de la police place de la Bastille, une foule d'environ 972.000 personnes, et un peu moins de 4 millions selon les moyennes de monsieur Corbière, comptable du Front de Gauche. Seconde estimation à laquelle tout commentateur impartial s'interdira de souscrire, les images de l'évènement attestant bien que, contrairement aux témoignages recueillis dimanche 27 janvier à la Bastille, nul manifestant ne fut à aucun moment en mesure de toiser la Tour Eiffel le 13 janvier dernier.


(1) Sur son blogue, Alexis Corbière annonce « au moins » 500.000 participants, ce qui sur un espace de rassemblement final de 3,2 hectares représente une moyenne de 15,6 personnes par carré d'un mètre.


François Delaître

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