La Défense |
Quatre conférences,
proposés par David Orbach (architecte D.P.L.G. urbaniste), ont eu
lieu à l’université populaire de Caen créée par Michel Onfray,
en novembre 2011 pour la première, et en janvier, février, et mars
2012 pour les suivantes.
David Orbach y parla du
problème de la laideur de l’architecture et de l’urbanisme
contemporains et des solutions que l’on pouvait y apporter.
David Orbach – c’est
lui qui le dit – fut un architecte contemporain convaincu, jusqu’au
jour où il décida de réfléchir par lui-même, avec pour effet de
comprendre – c’est encore lui qui le dit – que « l’architecture
contemporaine […] est la forme construite du libéralisme financier
dans lequel nous vivons aujourd’hui. » Qu’elle « n’est
rien d’autre que l’architecture ultralibérale. » Que
« notre paysage est ruiné par l’architecture
contemporaine institutionnelle, exactement comme notre économie est
ruinée par l’ultralibéralisme banquier. »
Il fallut donc que David
Orbach soit capable de réfléchir par lui-même, mais aussi, et par
conséquent, qu’il soit capable de remettre en question ce qu’il
pensait, sa profession, et son époque. Des qualités qu’il est
rare de voir réunies chez quelqu’un, mais sans lesquelles il
n’aurait évidemment jamais pu construire son excellente critique
de ce qui détruit et enlaidit notre cadre de vie.
Autrefois, l’architecture
était l’association de la culture, de l’art, et de la technique.
L’architecture contemporaine est le résultat de la suppression des
parties artistique et culturelle, permettant à la partie technique
de devenir un tout. L’architecture contemporaine, c’est de
l’architecture technologique, technocratique, ceci expliquant
pourquoi les constructions anciennes ont du charme, sont belles, ou
empreintes de noblesse, alors que l’architecture contemporaine,
froide, laide, et vulgaire, semble avoir été conçue par des
machines. On peut même parler d’architecture humaine d’un côté,
et inhumaine de l’autre.
Pourquoi l’architecture
contemporaine est-elle la négation de l’architecture culturelle ?
Parce que cette dernière est reliée au passé, et donc à
l’Histoire, à l’identité, que l’on veut ringardiser, effacer,
afin de laisser le champ libre au mondialisme financier.
Pour beaucoup, en
écoutant les conférences de David Orbach, ce sera la première fois
qu’ils entendront formuler si clairement une critique sur cette
escroquerie intellectuelle et cette pollution qu’est l’architecture
moderne et contemporaine.
En l’écoutant, on sent
qu’il est idéologiquement plutôt de gauche, ceci rendant quelque
peu surprenant et intéressant de l’entendre défendre comme il le
fait le beau en architecture, le pittoresque, les vrais
matériaux, l’artisanat, la culture, l’héritage, la tradition,
l’architecture française, le fait que toute nouveauté véritable
s’appuie sur le passé, l’architecture vernaculaire, propre à
une région, à un pays, racontant une histoire commune, l’art
véritable, la lente sédimentation au fil des siècles du travail
des artistes et des architectes. Ceci rendant encore plus surprenant
de l’entendre déplorer la ruine des paysages par l’architecture
contemporaine, dénoncer la religion du progrès, le cosmopolitisme,
notre époque dépravée, la négation du réel, le mondialisme
financier qui pour détruire les nations invente des formules comme
« citoyens du monde », « village planétaire »,
la technologie comme arme de guerre contre les cultures, puisqu’elle
cherche à les remplacer, la destruction de tout ce qui faisait et
caractérisait l’architecture depuis des siècles, les façades
culturellement inidentifiables.
Il faut noter qu’une
bonne partie de sa critique générale s’appuie sur celle qu’il
fait de Le Corbusier. Certaines personnes ne sachant que peu de
choses de ce dernier seront effarées de découvrir l’étendu de
son potentiel de destruction et de nuisance, notamment en apprenant
qu’il nourrissait le projet de raser une bonne partie de Paris pour
construire d’immenses blocs de béton et de verre.
Il y a quelques années,
notamment pendant les années 90, des gens ressemblant à ce qu’il
était avant sa prise de conscience sur l’architecture
contemporaine, traitaient de tous les noms, et en particulier de
fascistes, ceux qui disaient le dixième de ce qu’il dit pendant
ses conférences. On tombe de plus en plus, de nos jours, sur des
personnes comme lui, tenant de pareils propos.
En beaucoup moins
perspicace, c’est ainsi que les défenseurs béats de la
mondialisation d’hier – les fameux « citoyens du monde »
– sont devenus les "indiniais" des ravages de cette même
mondialisation. Sont-ils en train de lentement, très lentement
comprendre qu’en ayant cru lutter contre le fascisme, tel qu’ils
le définissent, ils ont en réalité défendu et servi une nouvelle
forme de totalitarisme ?... Non, il est peu probable qu’ils en
soient là, mais il est en revanche fort probable que les historiens
de demain, eux, les verront ainsi.
Comme un mafieux repenti,
un ancien toxicomane, un échappé d’une secte, David Orbach nous
parle de là d’où il vient : l’architecture contemporaine.
Toutefois, si sa
condamnation de cette dernière est pertinente, et même exemplaire,
les solutions qu’il propose, en présentant son travail
d’architecte, sont loin d’être convaincantes.
Le problème, c’est
qu’il cherche, de bonne foi, à renouer avec l’architecture
culturelle et le beau en continuant à utiliser la manière de faire
ayant provoqué la rupture avec l’architecture culturelle et le
beau. Il ressemble à quelqu’un qui, après avoir porté des
vêtements excentriques, déciderait d’adopter une tenue classique,
tout en continuant à porter des vêtements excentriques.
Quoi qu’il en soit –
c’était à prévoir –, on s’aperçoit vite, au vu de la
majorité des commentaires de ceux ayant écouté ses conférences
sur internet, que David Orbach ne s’est pas fait que des amis parmi
les représentants et défenseurs de l’architecture
stalino-financière.
Voici quelques perles
parmi l’ensemble de ces commentaires :
« Il ne faut pas
voir l’ultra libéralisme partout, même s’il est omniprésent. »
« On a ici toute
une classe d’architectes qui vous écoute depuis 20 minutes et qui
ne sait toujours pas de quoi vous parlez ! Laissez l’architecture
a ceux qui savent vraiment de
quoi on parle. »
« Que de
mélanges! Quelles confusions! Je suis totalement associé à l’idée
de critiquer l’architecture aujourd’hui, ainsi que la société
dans laquelle nous vivons. Mais n’oublions pas qu’une partie des
réformateurs modernes étaient socialistes. »
…On souhaite bon
courage à David Orbach !
Laurent Gané
8 commentaires:
:-)
Puisque le sujet vous intéresse, j'ai récidivé à l'école d'architecture de Paris-Belleville. Ça a été un peu violent aussi je n'ai mis sur internet que l'enregistrement de mon intervention sans les réactions de la salle :
http://www.youtube.com/watch?v=sbYr5LOFhMQ
Bonne lecture
L'école d'architecture de Paris-Belleville ! Vous avez le goût du risque ! Si l'enregistrement dont vous donnez l'adresse ne contient que votre intervention, ça veut dire qu'ils ont attendu 7 mn et 7 s pour vous tomber dessus. Ce serait intéressant d'entendre leurs réactions.
Je vous donne l'adresse d'un groupe Facebook, sur la laideur de l'architecture contemporaine, qui je pense vous intéressera : http://www.facebook.com/groups/8839417724/
Ainsi que l'adresse d'un site – que vous connaissez peut-être déjà – dont l'auteur fait une excellente critique de l'architecture et de l'urbanisme contemporains : http://www.valentinfiumefreddo.com/
Merci de me citer, et aussi de conseiller mon site à David Orbach, dont j'ai vraiment apprécié les captures de ses conférences chez Onfray.
Il n'y a pas a s'étonner qu'il soit de gauche, car il se trouve que, en effet et curieusement, la plupart des architectes qui pensent comme moi sont ou viennent de la gauche, comme mon ami Leon Krier, ou Maurice Culot (quoique la plupart des architectes "normaux" soient de gauche également...). Je diverge avec David Orbach quant à sa croyance en l'unique responsabilité du libéralisme économique dans l'horreur du design industriel du bâtiment actuel, ce serait trop simple à corriger si ce n'était que ça hélas, c'est plus profond. Il confond capitalisme moderne et révolution industrielle. Mais il dit en dehors de cela tout ce qu'il faut dire et enfin dit la réalité telle qu'elle est.
La question est : combien de temps le système va-t-il le laisser tranquille avant que ne soit pondu sur lui un article s'inquiétant d'un discours "réactionnaire" ?.
Pourrais-je mettre votre article sur mon site, dûment crédité bien entendu, avec lien vers chez vous ? J'aimerais en effet avoir des intervenants extérieurs sur ce vaste sujet...
@Fiumefreddo,
Je suis aller voir votre site que je trouve très bien. Je pensais être le seul à m'exprimer sur cette question et c'est un plaisir de voir que nous sommes au moins 2 ( et 3 avec le petit tisonnier) Notre armée de Gédéon s'étoffe. C'est un début. :-)
Je confonds c'est vrai, ou plutôt je lie design industriel, capitalisme moderne, révolution industrielle, au libéralisme économique, parce que je pense qu'ils se développent ensemble parce qu'ils procèdent de la même doctrine : le matérialisme. Je pense pourtant comme vous que le mal est très profond et qu'il ne se résoudra pas par quelques lois (que j'appelle pourtant de mes voeux, faute de mieux). C'est tout un mode de pensée qui nous manque. Je n'ai pas la réponse et je cherche.
@ Redaction,
Merci de vos liens. Je n'ai malheureusement pas les réactions de la salle parce que j'ai fais cet enregistrement avec un micro-cravate, et les gens ne sont pas audibles. pour autant, les organisateurs m'ont dit faire une retranscription des échanges. Je vous tiens au courant.
amicalement
"l'architecture moderne a été pervertie par les lobbies des laveurs de carreaux et des femmes de ménage"
Valentin Fiumefreddo :
Vous m'avez demandé si vous pouviez mettre mon article sur votre site, et je n'ai pas répondu. Je vous prie de m'en excuser, mais je n'avais pas vu votre question. Effectivement, je prends connaissance des commentaires depuis la plateforme d'administration, et pas sur le site en cliquant au bas des articles. Il se trouve – je viens de m'en apercevoir – que depuis la plateforme, si les commentaires dépassent une certaine longueur, ils sont tronqués. Il manquait donc la fin de votre message. De plus, il n'y a pas la petite phrase "voir plus" ou "lire la suite", comme sur certains sites communautaires. Quel imbécile je fais. J'aurais dû être plus vigilent.
Donc pour répondre à votre question, bien sûr que vous pouvez mettre mon article sur votre site. J'en serais évidemment ravi !
J'en profite pour réagir à vos propos. Vous dites que David Orbach confond capitalisme moderne et révolution industrielle. Si j'ai bien compris ce que vous dites (corrigez-moi si je me trompe), et dans ce cas je vous rejoins, les progrès importants de la mécanisation au XIXe siècle ont modifié notre rapport aux choses, et même au temps et à l'espace, notre manière de sentir, de penser, de vivre, de concevoir et de faire, et donc, naturellement, par conséquent, et entre autres, notre façon de construire. De fait, l'architecture moderne serait, avant d'être l'œuvre du capitalisme, le rejeton de la révolution industrielle. Mais ne peut-on pas dire également que celle-ci est en grande partie le résultat d'une ambition commerciale, capitaliste, chez des gens comprenant que pour augmenter leurs profits il fallait optimiser le rendement en favorisant le progrès, et donc l'industrialisation ? Le capitalisme n'a-t-il donc pas davantage provoqué que suivi la révolution industrielle ? L'amélioration du rendement étant inconsciemment un désir de conquête, alors l'élaboration d'un projet de mondialisation par déculturation et donc éradication de l'architecture vernaculaire, lorsque les moyens technologiques, intellectuels, et psychologiques, pour ne pas dire de propagande et d'aliénation, le permettent, est un aboutissement logique.
L'architecture contemporaine, c'est de la géopolitique, si vous me permettez ce résumé. Ce dont nous sommes témoins est loin d'être le fruit d'un processus innocent. Nous sommes certes entraînés par le mouvement créé par l'évolution, mais il est également vrai que certains s'emploient à donner à ce mouvement une direction précise. Des personnes l'ont brillamment exprimé et dénoncé, comme le philosophe et écrivain dissident soviétique Alexandre Zinoviev par exemple.
Merci pour l'autorisation.
A vrai dire, il n'y a pas d'architecture moderne. Il n'y a qu'une industrialisation de la construction, grâce à des techniques bien précises comme l'acier et le béton ferraillé (ou armé), qui permettent de s'affranchir de toute les contraintes, la préfabrication, etc.
Mais il faut aussi s'intéresser à la disparition de tout ornement, qui est indépendant de cela puisque (voir :http://www.infociments.fr/betons/historique) le béton armé ne l'empêche en rien, voire rend celui-ci plus facile (le béton est une pâte) : les immeubles sont hideux par choix, par par prix. Les gros projets d'architectes connus ne sont pas fauchés, mais très chers (rappel Grande Bibliothèque = dix copie de l'église Saint-Sulpice).
J'ai une petite théorie sur la disparition de l'ornement : orner, c'est discourir puisque c'est faire d'une façade une oeuvre d'art donc un discours. Une banque ornée d'allégories de la Richesse sous forme de femmes grecque est un discours : réfléchissez à tout ce que cela contient : 1) une femme grecque est un canon de la beauté, 2) la Grèce est notre modèle insurpassable, 3) la richesse est bonne 4) la représentation figurative réaliste classique est la norme, etc. Or Dieu est mort, donc il n'y a plus rien à représenter, et il n'y a pas de haut qui soit "mieux" que le bas. D'ailleurs l'idée même de "mieux que" est suspecte.
Les derniers décors un peu classiques furent les belles ouvrières des façades des immeubles soviétiques et du métro de Moscou : cela donne à penser... Voyez le problème : si je veux orner, aujourd'hui, que vais-je faire ? Quelles figures incontestables utiliser ? Lorsqu'on orne aujourd'hui, c'est presque toujours sous l'angle de la dérision, ou du "clin d'oeil". Exemple : http://www.flickriver.com/photos/7469023@N07/6442030083/
Donc le problème est peut-être de restaurer l'art sans avoir nécessairement à réanimer Dieu, je ne sais pas... A Michel Onfray de répondre.
Pour décorer, il faut des canons et des références à peu près consensuelles, ce qui n'existe plus, voire est devenu inconcevable. Copier (et parfois strictement), chose normale en 1900, est exclu, honteux, mal. Or la Madeleine, la Cour suprême américaine, l'Olympieion à Athènes et le temple de Mars vengeur à Rome sont quasiment identiques. La maison carrée et la Cour d'appel de Montpellier sont de parfaites jumelles. Il ne serait venu à l'idée de personne de le reprocher à l'architecte. L'idée que l'Antiquité faisait autorité en matière de beauté faisait consensus ("autorité en matière de beauté",... la phrase qui passe plus!)
Bref, ni moi ni D. Orbach, ni M. Onfray n'ont 100% de la réponse.
Bien le bonsoir en provenance de Montréal, au Québec,
Voici un article de réflexion qui devrait intéresser David Orbach et une partie de la communauté des internautes présents sur ce fil de discussion :
https://patricehansperrier.wordpress.com/2018/02/09/fuir-la-cite-concentrationnaire/
J'autorise le responsable de ce site à publier cet article si le coeur lui dit.
L'architecture et le design contemporain font partie du système de l'art et de la mainmise des milieux financiers sur la créativité et ... les lieux de représentation de la cité.
Bonne continuation à toute l'équipe !
Patrice-Hans Perrier, à Montréal
Site : patricehansperrier.wordpress.com
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